Continues, t'as de la matière... En tout cas, tu as les capacités !
J'en profite pour poster le début de mon livre.
Je suis ouvert à toute remarques... Ou corrections
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Il porta le cuiller de bois à sa bouche, avalant lentement le ragoût brûlant, sans se soucier de sa gorge bientôt en flammes.
Il esquissa un petit rictus de douleur, l'espace d'un instant, un court instant.
Seul à sa table, dans le grand hall du Fort Fier-Acier, le quartier général de la Confrérie des Épéistes dont il fait partie.
Trois ans qu'il est seul, renfermé dans sa culpabilité.
Un autre homme vint s'asseoir auprès de lui, déposant son bol d'où s'échappe une épaisse vapeur.
- Bon appétit. Lui dit-il d'une voix mal assurée.
Il détacha son regard du vide qu'il contemplait, et fixa son interlocuteur de ses deux yeux bleus, tels des saphirs incrustés dans d'énormes perles veinées de rouge.
C'est par le silence qu'il répondit.
Mal à l'aise, sa confiance balayée par le regard dur de son muet voisin, l'homme détourna la tête, avant d'entamer son repas.
Le silence.
Le hall tout entier n'est qu'une immense cacophonie où se mêlent rires, disputes, exclamations, discussions posées ou endiablées, chansons et moqueries...
Mais autour de lui n'était que le silence, un silence intraitable, une bulle d'un silence écrasant et irrévocable.
Un silence rarement brisé.
Lentement, le bol se vide, cuillère après cuillère, sans le moindre mot, sans la moindre parole.
Son épée large battant son flanc, son armet posé sur son banc poli, il n'avait pas ôté son armure de mailles et de plates, au tabard bleu, où est brodé un soleil d'or, symbole de sa maison... Cela aurait été inutile: Le mot « répit » ne figurait pas dans son vocabulaire.
L'homme lui jeta un regard désolé.
Autrefois, il fut son meilleur ami...
Du temps où il en avait encore.
Il s'apprêta à lui parler, pour lui redire la même chose.
La même chose que la veille, la même chose que l'avant-veille, que la semaine précédente... La même chose de puis des années, jours après jour... Une rengaine inutile.
Une main gantelée se posa sur l'épaulière d'acier du silencieux chevalier-épéiste.
Il tourna la tête.
Un garde en armure de plates complète, armé d'une lourde hallebarde, le regard que l'on pouvait deviner sérieux sous son heaume d'acier.
- Le Haut-Maréchal te demandes.
Enfilant son casque, il se leva, suivi de son ami.
- Seulement lui. Claqua sèchement le garde.
- Si il y va, j'y vais. Rétorqua l'épéiste, déterminé.
Le soldat s'approcha d'un pas menaçant... Le bras armuré du chevalier le retint, bloquant son torse.
Il jeta un œil étonné à son protagoniste.
Celui-ci le fixait, d'un regard dur et vindicateur.
« Il viendra » Disaient les lueurs bleutées.
Et sa décision était sans appel.
Le garde répond d'un bref hochement de tête... Il détestait être rabroué de la sorte.
Une fois que le chevalier eu baissé son bras, il leur fit signe, lui et son compagnon, de le suivre.
Il partit vers de grands escaliers de pierre, dans le fond de la salle, collés parallèlement au mur, et qui donnaient vers une grande porte de bois de chêne cloutée ; les deux épéistes lui emboîtèrent le pas.
Les trois hommes passèrent entre les tables, leur équipement de métal cliquetant à chaque pas, prenant garde de ne pas bousculer les hommes et femmes attablées.
Ils montèrent les escaliers de pierre taillée, et parvinrent devant la porte.
Deux gardes, à l'équipement similaire de celui qui accompagnait les épéistes, ouvrirent la lourde porte de bois clouté, et les laissèrent entrer dans un carrefour de larges corridors.
Un véritable enchevêtrement de couloirs, décorés par de nombreuses fresques, d'épées entrecroisées, protégées par des écus à l'air vaillant et de torches, qui, la nuit venue combattaient l'obscurité des lieux de leur lumière orangée. Celles-ci n'étaient pas encore allumées, la lumière du jour perçant à travers les fenêtres suffisaient à éclairer les corridors.
Ce derniers menaient tantôt vers les quartiers des gardes, tantôt vers ceux des épéistes, tantôt vers l'étage supérieur où siégeait le conseil de la Confrérie...
Mais ils s'en désintéressèrent, et empruntèrent le couloir qui leur faisait face.
Ils parvinrent devant d'autres portes, matelassées cette-fois-ci, et d'une agréable couleur bordeaux.
Le garde toqua, et attendit la réponse.
- Entrez donc ! Je vous attendait. Lança une voix aiguë mais forte. La voix d'un ambitieux maître de guilde.
Les portes s'ouvrirent, tirées par deux puissants chevaliers d'élite, membres de la garde rapprochée du Haut-Maréchal en personne.
Le garde se retourna, et se remit en faction devant les grandes portes.
Son rôle s'arrêtait là, et il reprenait son activité habituelle: Faire le guet.
Les deux épéistes entrèrent, l'un en retrait, l'autre devant, son assurance rimant avec indifférence.
La pièce était magnifiquement embellie: Un grand tapis rouge, si moelleux qu'on eu voulu dormir dessus, s'étendait sous les pieds des guerriers.
Au murs, des tableaux, et des lames antiques, et dont les seuls noms évoquaient hauts-faits héroïques et légendes inouïes: Graem, dont le fil trancha le cou du dragon qui lui donna son nom, Joliir, antique relique des Carniens du Nord, arrachée au cadavre du jarl Tyr le Fou, Brosengar, l'épée du courroux, qui vit la mort d'un millier de barbares durant les invasions de l'âge Noir, et d'autres plus terribles encore...
Six chevaliers d'élite se tenaient, droits et inflexibles, armés de lances, de pavois et d'épées bâtardes, engoncés dans d'impressionnantes armures de métal bleuté.
De l'Azulite.
De-ci de-là, des livres aux reliures de cuir et aux titres dorés s'entassaient, si nombreux qu'on aurait pu croire que les massives bibliothèques avaient elles-mêmes vomis les manuscrits, bien trop nombreux pour leurs simples armatures de bois.
Derrière un bureau de bois poli, assis sur un siège rouge, se tenait Artaen, le Haut-Maréchal, maître suprême de la Confrérie des Épéistes.
Il était parfaitement rasé, les cheveux blancs et courts, il s'affairait sur une pile de papier, trempant régulièrement sa plume de Paon dans petit pot de verre, rempli d'encre noire.
Sur ses épaules était passé un riche manteau de fourrure... Étrange au vu de la saison estivale, et qui devaient plus être l'étalage de son incroyable richesse qu'une simple mesure de précaution contre un froid absent.
Les portes se refermèrent.
Il leva la tête vers les hommes.
- Ah ! Te voilà enfin, mon cher Quelric ! S'exclama t-il, un large sourire aux lèvres
- Salutations, Haut-Maréchal. Dit le chevalier d'une voix grave et monocorde, la voix froide d'un homme à l'esprit mort.
- Un plaisir de te voir... Et je vois que tu es venu avec ce bon Hadrian ! Décidément, vous êtes inséparables !
Hadrian était trop perturbé pour répondre... Quelric ne s'en donna même pas la peine.
- Toujours aussi loquace, n'est-ce pas ? Dit Artaen, un léger sourire aux lèvres. Pourquoi changer les vieilles habitudes ?
Le chevalier ne broncha pas. Il se tenait droit, mais sans aucune fierté, telle un golem sans âme, le gardien sans conscience d'une forteresse maudite.
Il ne faisait pas le moindre geste, à tel point qu'on put le croire pétrifié, immobilisé par quelques noirs sortilèges.
Mais il n'en était rien... Sa seule entrave trouvait son origine dans son esprit.
- J'ai souvenir d'un épéiste, plus jeune de quelques années. Il était plus... Vivant. Tu étais plus vivant.
De toute évidence, le Maréchal tentait de faire réagir le guerrier, tentant de le piquer, armé de phrases venimeuses, blessantes, véritables aiguilles, dards qu'il jetait sur le chevalier.
Mais celui-ci ne laissait paraître aucune émotion, protégé par une armure d'un alliage de discipline et d'indifférence, véritable carapace sur laquelle se brisaient les émotions, empêchant les sentiments d'accéder à l'esprit de l'épéiste.
- Quoi qu'il en soit, tu restes d'une efficacité redoutable ! Complimenta le maître de la Confrérie en reprenant son travail.
Il changeait de stratégie. Les coups ne fonctionnaient pas...
Les caresses seraient peut-être plus efficaces ?
Pas apparemment.
- Même si... Tu as vécu des moments difficiles.
La pitié, maintenant... Le maréchal s'enfonçait à vue d'œil.
Ce dernier leva la tête vers le chevalier.
- Je suis désolé pour elle. Lâcha t-il avec un rictus peiné.
Le chevalier... Fronça les sourcils.
Il serra les poings. Dans le lapis-lazuli de ses iris se reflétaient des lueurs orangées... La colère.
- En parlant d'elle, j'ai peut-être...
- Quoi ? Grogna le chevalier, les yeux écarquillés, saisi d'une hostilité aussi soudaine que virulente. Parlez !
- Qui es-tu pour parler ainsi ? Aboya un garde, menaçant Quelric de sa lance qu'il serrait fermement.
- Je vous en prie, le calma Artaen, un sourire aux lèvres. Je le préfère ainsi qu'avec son habituelle apathie...
- Que savez-vous ? Demanda Quelric, tentant de garder un calme apparent.
- J'ai peut-être des renseignements à propos d'elle...
Le chevalier, yeux ronds, questionnait du regard le Haut-Maréchal, dont les lèvres s'étiraient dans un sourire au goût mélangé de satisfaction et d'amusement. Il avait gagné à son petit jeu sadique, il avait arraché un sentiment au chevalier... Et quel sentiment ! De la colère, de la rage !
- … Il se pourrait même que je sache où elle se trouve.
Hadrian contemplait la scène, tentant de ne pas laisser voir son euphorie à l'annonce du Maréchal.
- Dites moi tout ce que vous savez ! Rugit Quelric. Sur-le-champ !
- Une telle insolence ne sera pas impunie ! Rugit un chevalier d'élite en brandissant sa pertuisane.
- Non ! J'apprécie la colère du jeune homme ! Revoir sa fougue d'antan me fait chaud au cœur...
- Mais, messire...
- Paix ! Ordonna le maréchal d'une voix forte.
Le garde acquiesça, puis reprit lentement sa position.
- Quelric, je pense savoir où elle est... Mais...
- Mais ?
- Je sais qu'elle compte plus que tout au monde à tes yeux... Te la rendre serait donc un cadeau inestimable. Je me trompe ?
Le silence répondit.
- C'est bien ce que je pensais. Mais je ne peux te l'offrir gratuitement. Il faudra faire quelque chose pour moi.
- Je ferais n'importe quoi. Dites moi où elle est et je vous jure que vous ne le regretterez pas.
- Non... Ce serait bien trop simple et bien trop peu fiable.
Quelric serra les dents.
- Je vais te donner une mission. Tu t'en acquitteras, et en échange, tu auras ta sœur. Qu'en dis-tu ?
- Que voulez-vous ?
- Vois-tu, dans ma jeunesse, j'ai parcouru Arkansia, en compagnie de forts et proches amis... Ce faisant, j'ai réclamé l'aide de bien des hommes puissants... Cela fait bien longtemps maintenant mais j'ai toujours une dette envers eux. Vois-tu ?
- Vous voulez que j'aille régler vos dettes ?
- En quelques sortes.
- J'accepte.
- Parfait !
- Quelle que soit cette quête, je te suivrais ! S'exclama Hadrian en avançant d'un pas.
- Non, Hadrian, Quelric sera bien plus efficace seul.
- Deux lames valent mieux qu'une !
- Mais mieux vaut être seul que mal accompagné.
Le tirade, précise et mortelle, frappa le jeune homme au creux du ventre.
« Mieux vaut-être seul que mal accompagné »
Était-il faible au point d'être un poids pour son ami ?
Un boulet que l'on traîne lourdement, qui nous affaiblit et nous essouffle ?
- Tu le ralentirais, il vaut mieux qu'il parte seul. L'écart entre vos capacités est si important qu'il en devient dangereux, pour l'un comme pour l'autre.
- Mais... Je pourrai aider... Je...
- Non Hadrian. C'est un voyage que je ferai seul.
L'épéiste semblait désespéré... Allait-il devoir regarder son ami partir vers un danger, sûrement mortel, sans pouvoir rien faire ? Le voir marcher sur les routes menant à la mort ?
- Ce sera périlleux. Trop périlleux. Je ne veux pas que tu me suives. Restes ici, ta place est auprès de nos confrères, à l'abri dans la citadelle. Moi, je suis déjà mort. Cela fait maintenant trois ans que je le suis. Non Hadrian, tu ne viendras pas.
Les larmes lui montaient aux yeux, mais il les empêcha de traverser la frontière de ses paupières.
Il ne pourrait rien faire.
Serrant les poings, il tourna les talons et franchit la porte que les gardes ouvrirent devant lui.
Un claquement sourd.
Le chevalier était désormais seul devant le maréchal, entouré par six guerriers surpuissants.
- Pourquoi moi ?
- Pour trois raisons: La première est que je connais ta détermination, ta volonté, ta loyauté. Je ne pourrais trouver quelqu'un de plus qualifié pour une telle mission. La seconde et que tes capacités sont remarquables, et que je te sais capable de mener à bien ta quête. La troisième est que...
Un sourire étira ses lèvres... Un sourire dérangeant, presque malveillant.
- Tu es un âne, et j'ai la carotte. Je peux te mener par le bout du nez, tu m'obéiras toujours. Si je t'ordonnais d'aller en enfer, pour sûr, tu le ferais... Je sais que tu serais prêt à tout pour elle.
Il avait raison...
- Pourquoi seul ?
- Pour trois raisons, à nouveau: La première est que tu seras bien plus rapide et efficace seul qu'en groupe. La seconde est que c'est ton fardeau, non celui d'Hadrian, Erosk ou Leya. La troisième est que je pense que tu es le seul à être capable de payer mes dettes en conséquence, et ce pour la bonne et simple raison que tu es le seul qui n'a aucune chance de trahir ma confiance. La tâche sera ardue, mais la récompense sera triple: Si tu y parviens, tu jouiras d'une notoriété à en faire pâlir Barten le Juste, ta position au sein de la Confrérie sera assise, tu seras monté à un grade rivalisant avec celui d'un champion. Tu seras un champion. Ensuite, grande seront les récompenses... J'ai des comptes qui ne sauraient être réglés par l'or, mais cela ne veux pas dire que j'en manque, et tu seras le premier à en profiter. Et enfin, le dernier enjeu, et pas des moindres... Tu la retrouveras. Ta protégée, le trésor que tu as si farouchement défendu... Ta jeune sœur. Acceptes-tu ?
- J'accepte.
- Merveilleux... Se réjouit le maréchal, un large sourire au lèvres. Merveilleux.
Ce dernier ouvrit l'un de ses tiroirs, et en sortit une flûte de pan.
- Connais-tu l'air de l'Etoile du Matin ?
- Oui.
- Saurais-tu le jouer ?
- Je le pense.
- Bien... Le jouer avec cette flûte appellera mon aigle, Aile d'Aube, qui nous servira de messager. Je t'enverrai des instructions par son biais, une fois que tu auras terminé avec l'une de mes vieilles connaissances, tu n'auras qu'a l'appeler et lui remettre une missive m'informant de ta progression. Je t'enverrai de nouveaux ordres dans les jours qui suivront.
Le chevalier hocha la tête, en prenant la flûte dans sa main.
- Tu dois te demander: « Pourquoi diable s'acquitte t-il de ses dettes aujourd'hui, après tant d'années ? » La réponse est simple: Mes anciens amis sont dans le besoin, et il est de mon devoir de régler ce que je leur doit... Te rappelles-tu, le mois dernier ? Un messager est venu. Il portait les armoiries du Roi Lansfeld. Il était venu réclamer de l'aide, pour une guerre qui ravageait sa contrée. Et cela m'a fait repenser à toutes ses personnes qui, dans leur vie, m'ont grandement aidé. Ces personnes me pressent d'ailleurs pour que je leur offre leur dû. Ainsi, cher Quelric, je t'envoie, car notre passé nous rattrape, un jour où l'autre, et que je préférerais pouvoir l'oublier. Tu seras le clé de cet oubli. Un oubli définitif.
- Je part dès ce soir.
- Je t'en prie, passe une dernière soirée ici, partage un dernier repas avec nous, prépares tes bagages... Dis au-revoir à tes proches.
Cette dernière phrase sonnait à ses oreilles comme: « Fais tes adieux. »
- Si vous le désirez.
- Je préviendrai le cuisinier, le forgeron et le maréchal-ferrant, qu'ils te prêtent main forte.
- Je ne vous décevrai pas.
- Je sais. Dit le maître avec un sourire confiant.
L'épéiste fit volte-face, et sortit.
Les massifs gardes ouvrirent les portes qu'il dépassa.
Il traversa le couloir, et parvint aux portes cloutées. Il n'emprunta pas les escalier, à la place, il posa ses mains sur la balustrade de pierre, et s'y appuya, le regard empli de détermination...
… Et d'espoir.