Cela fait un bail que je l'ai écrite, mais je la poste pour que vous me donniez vos avis.
C'est la suite de mon roman ayant pour héros... Le chevalier Quelric !
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Il passa le reste de sa journée à préparer ses affaires, seul dans sa chambre...
On toqua à sa porte.
Tiré de ses préparatifs, il l'ouvrit et dévisagea son ami qui se tenait sur le seuil.
Un visage désolé, voir dévasté.
- Quelric... Je... Je suis désolé de ne pas pouvoir...
- Cela ne sert à rien de s'excuser, je ne voulais pas que tu viennes avec moi.
- Parce que... Je suis inutile ?
- Parce que tu n'est pas encore prêt pour de tels travaux. Tu es encore un bretteur.
- Nous n'avons qu'un rang d'écart !
- C'est un rang de trop.
Et, en vérité, il n'en avaient pas qu'un. Quelric avait clairement un niveau bien supérieur à son rang, et il ne devrait attendre que le solstice d'hiver pour voir son talent récompensé... Pour devenir un paladin-épéiste.
- Alors... Tu pars seul ?
- Oui.
- Ecoutes, Quelric... Je t'ai toujours considéré comme un frère, tu le sais. Je t'en prie, reviens en vie.
- Je survivrai, j'en fait le serment. Répondit le chevalier avec un regard déterminé, la voix forte et assurée.
- Bien... L'heure du souper approche, nous ferai-tu l'honneur de venir à table, une dernière fois, avant que tu ne partes vers l'inconnu ?
- D'accord. Je viens.
- Merci mon ami. Dit-il en hochant la tête, un amer sourire aux lèvres.
Il se décala pour laisser passer Quelric, qui sortit de sa chambre, partant vers la Grande Salle. Hadrian lui emboîta le pas, et ils partirent, côte à côte dans les couloirs éclairés par les torches qui avaient été allumées par les serfs à la tombée de la nuit. Leur marche fut silencieuse, le chevalier étant peu loquace, et le bretteur trop peu confiant pour engager une conversation.
Ils arrivèrent bientôt dans le hall principal, résonnant, comme à son habitude, des conversations vives et endiablées des épéistes.
Ils repérèrent le pan de table où leurs amis s'étaient rassemblés, et les rejoignirent.
Ils s'assirent côte à côte, en face de leurs trois convives: Leya, une jeune femme aux yeux et aux cheveux similaires en couleur à ceux de Quelric, Etrosk, dont la queue de cheval laissait deviner sa prédilection pour les épées longues, et Unael, fils d'un noble impérial à la tignasse dorée.
Sur la table trônait un véritable festin: Une dinde braisée, encerclée par des pommes de terre ruisselantes de sauce, sur un tapis de feuille de choux, ainsi que, en guise d'entrée, une salade verte agrémentée de lardons cuits à point et de morceaux de fromage.
Le repas du soir était toujours le meilleur.
Après s'être salués, ils engagèrent une conversation à laquelle Quelric ne prit pas par.
Tous semblaient vouloir oublier que leur ami allait partir au matin, pour ne plus revenir, dévoré par un monstre abominable, transpercé par une lance, déchiqueté par une bête féroce... Ou pire encore.
Mais, même si ils souhaitaient éviter un sujet fâchant, ils ne purent faire disparaître le malaise.
Le chevalier était silencieux, d'un mutisme encore plus prononcé qu'à l'habitude, et ce silence était pesant pour tous.
Tous l'imitèrent pendant quelques instants, coupant court à leur discussion sonnant faux.
- Où vas-tu ? Demanda Leya, brisant le silence de glace.
- Dans les Contrées de l'Est. Au Nord-Est d'ici.
- Pourquoi ?
- Leya... Tenta de l'interrompre Unael.
- Le Haut Maréchal m'envoie pour une affaire personnelle.
- Quelle affaire personnelle ?
- Une affaire qui ne te concerne pas. Ni toi, ni moi, ni aucun de nous.
- Alors pourquoi t'envoies t-il ?
- Car il me fait confiance.
- Et pas à nous ?
- Non.
- Pour quelle raison ?
- Car je suis plus gradé, plus discipliné, plus digne de confiance, et surtout, plus fort.
- Tes chevilles gonflent, Quelric.
- Tu dois être sourde pour ne pas entendre raison.
- Raison ? Quelle raison y-a t-il là dedans ? On t'envoies risquer ta vie dans des terres barbares et sans pitié, sans que cela te concerne, et toi, tu acceptes ? Où est la raison ?
- C'est ce que nous faisons tous. C'est notre devoir. Cites-moi une seule mission dans laquelle tu as été personnellement concernée.
- Mais nous le faisions toujours pour le bien commun, pas pour des affaires privées ! Nous ne sommes pas des mercenaires !
- Je suis prêt à endosser n'importe quel rôle pour elle.
Il revint à la charge. Le silence. L'odieux silence.
Le terrible, implacable et cruel silence.
Un silence aux mille noms composés de mille mots.
Pesant, forçant à la réflexion, signifiant un malaise palpable, comme une incertitude, une contradiction, un désaccord gênant et inavouable.
- Quelric... Dit Erosk d'une voix douce, comme pour ne pas attirer la hantise ou la colère, pour ne pas voir le chevalier partir dans les rages froides et taciturnes qu'il avait parfois. Cela fait trois ans. Ce n'est pas comme si elle avait été enlevée par un chasseur d'esclave... Rends-toi à l'évidence: Elle est morte.
- Alors pourquoi m'aurait-il dit qu'elle est encore en vie ? Demanda t-il, avec une voix dans laquelle on pouvait deviner une profonde irritation.
Le jeune bretteur venait de verser l'acide des mots sur la blessure de l'esprit, et une réaction virulente de la part du chevalier n'était évitée que par la maîtrise de soi de ce dernier.
- Voyons, c'est évident: Il se sert de toi ! S'indigna Leya. Cet homme est un manipulateur sans scrupules ni morale, il fera tout pour parvenir à ses fins !
- Et alors ? Il reste un espoir ! Et je suivrai cet espoir ! Jusque dans la tombe, je le suivrai ! Aux Enfers et dans les Limbes je le suivrai ! Jusqu'à la Rivière Rouge et en Obsurel ! Jusque dans les volcans en furie et la gueule béante des dragons ! Rien ne m'arrêtera !
Quelric ne rugissait pas, il grognait.
Il ne vociférait jamais, il restait, la colère vibrant dans sa voix, même si cette dernière restait au volume du simple parler.
- Arrêtons d'en parler. Proposa Hadrian. Nous partageons notre dernier repas avec notre ami, alors tâchons d'en faire un bon repas.
- Tu as raison... Pardonne-moi de t'avoir lancé là-dessus, Quelric. S'excusa Leya, la faute au fond des yeux.
Le chevalier ne répondit pas, et découpa une large tranche de blanc dans la carcasse de la fumante de la dinde. Il fut bientôt imité par ses compagnons.
Tous se régalèrent, la viande tendre fondant dans leur bouche, emplissant leurs papilles de saveurs douces mais éclatantes. La sauce était un délice, et se mariait à la perfection avec les pommes de terre et la volaille. Ils ne purent s'empêcher de manifester leurs contentement gustatif, et, l'esprit calmé par la saveur du repas, se mirent à plaisanter et à rire, ce qui détendit grandement l'atmosphère.
Vers la fin de soirée, Quelric se leva, et quitta la table, saluant d'un geste de la main ses convives, d'abord outrés, puis déçus.
Il retourna dans sa chambre.
Une fois entré à l'intérieur, il ôta son armure et se coucha, rabattant sur lui ses chaudes couvertures.
Les ténèbres l'envahirent tandis que Moyiel, déesse du sommeil, le serrait dans ses bras.
Avec le matin vint la lumière, qui illumina la chambre du chevalier. La cloche de la paroisse retentit, et le réveilla. Il ouvrit les yeux et se leva.
Il s'habilla, avant de passer son haubert de mailles, puis de fixer ses plates d'armures en acier: Gantelets, spallières, grèves et genouillères. Il enfila son armet d'acier, et passa son large tabard brodé du blason de sa famille.
De son père, plus précisément, représentant un demi-soleil, comme levant, entouré de ses rayons semblable à des éclairs, et de deux épées entrecroisées, en arrière-plan.
Il revérifia ensuite le paquetage qu'il avait préparé la veille.
Cinq cent pièces d'or, dont une cinquantaine étaient placées dans sa bourse, un élixir de soin, conservée depuis de nombreuses années, une pierre à aiguiser, une boîte d'amadou et son sac de couchage, ainsi que plusieurs tabards de rechange -avoir un tabard déchiré est un déshonneur pour un épéiste.
C'était tout ce dont il avait besoin.
Il porta la main à la clenche de la porte... Mais ne la poussa pas, regardant la chambre dans laquelle il avait vécu pendant quinze ans.
Devenue poussiéreuse, le bois semblait s'éclaircir au fil des années. Une chambre minuscule, mais pleine de lumière.
Un lit deux places, pour une seule personne...
Durant des années, la rigidité extrême de Quelric avait forcé sa sœur à dormir avec lui, l'épéiste ne supportant pas l'idée que celle qu'il aimait le plus au monde puisse dormir sans quelqu'un de confiance auprès d'elle.
Et puisqu'elle n'avait jamais trouvé personne de confiance à part Quelric...
Ou plutôt : Et puisque Quelric n'avait jamais trouvé quelqu'un de confiance...
Quand ils étaient venus, elle n'avait que six ans, il en avait déjà quatorze.
Un lien fort les avaient unis, dès leur plus jeune âge.
Un lien plus fort que celui du sang... Bien plus fort.
Il tourna la tête, ainsi que la clenche, et passa la porte.
Le temps n'était plus aux lamentations.
Il jeta son sac sur ses épaules tandis qu'il se dirigeait vers les cuisines.
Un odorant fumet embruma son nez comblé lorsqu'il poussa la porte de bois.
Des dizaines de jeunes marmitons s'affairent autour de grandes marmites de fonte d'où s'exhalait une fumée odorante et au parfum épicé. On sentait les herbes aromatiques, la viande grillée, les pommes cuites au four... Les cuisiniers voltigeaient entre les plats, sans jamais se toucher ou se parler, rajoutant du sel, goûtant les sauces, enlevant une feuille de laurier qui n'avait pas sa place dans un potage, remuant, tournant, coupant, écrasant, râpant...
Tous se pressaient autour de lui, en ne lui accordant qu'une faible attention.
Il s'apprêtait à s'avancer quand le chef de cuisine, un homme en embonpoint, habillé d'une chemise blanche, s'approcha de lui, ses mains nues étaient d'une propreté impeccable.
Il portait à deux mains un sac d'apparence lourde, et qui devait sûrement contenir des vivres pour plusieurs semaines.
- Salut, Quelric. Dit le cuisinier.
- Salut. Répondit l'épéiste.
Le cuisiner tendit son sac à une main, tentant de cacher le mal qu'il avait à le tenir.
Il avait beau essayer de dissimuler son effort, on pouvait entendre ses profondes respirations.
Au bout de quelques secondes, de grosses perles de sueur coulèrent sur ses joues et son teint vira au rouge écarlate.
- Il y a de quoi tenir deux semaines. Grains de blés, laitue, carottes, fromage, viande séchée, choux, pommes...
- Merci. Le coupa le chevalier.
Le cuisinier acquiesça, et eu un immense soupir soulagé quand son fardeau passa de ses mains à celles de Quelric. Il regarda son interlocuteur, et planta un regard inquiet dans le sien, froid.
- Reviens en vie.
- Je ferait en sorte de ne pas mourir.
Et, à ces mots, l'épéiste sortit des cuisines.
Il avait ses vivres, ses bagages...
Ses armes l'attendaient.
Il se dirigea vers la forge, dans une alcôve reliée aux quartiers des gardes.
Bientôt, des pulsations métalliques résonnèrent, cadencées, constantes, régulières, tels les battements rythmés d'une horloge, soumise à la pendule qui l'obligeait à cliqueter à chaque seconde.
Plus il s'approchait et plus les bruits s’amplifiaient, résonnant contre les murs de pierre d'une couleur jaunâtre apaisante.
Il passa la porte de bois clouté...
Le vieux forgeron ne connaissait pas le repos.
Frappant impitoyablement sur une plaque de métal rouge sur son enclume de fer noir, dans l'espoir de pouvoir en faire une lame acérée, une autre à ajouter à l'arsenal déjà incroyablement bien fourni de la Confrérie.
Suant comme un cheval et soufflant comme un bœuf, à l'image du soufflet qu'il actionnait de son pied -la forge ne doit jamais s'éteindre-, les mains rendues calleuses par des années de travail intensives, noircies et durcies par les gerbes d'étincelles qui jaillissaient à chaque frappe et s'écrasaient sur sa peau rendues dur comme le cuir par sa vie d'armurier acharné. Le visage bruiné, les cernes prononcées... Il était le seul armurier de toute la Confrérie, et travaillait de nuit comme de jour.
Constamment cloîtré dans la pièce, faite de pierres d'un gris déroutant, mal éclairée, il n'était pas très fréquenté, et la plupart des dialogues qui le comprenaient se résumaient à des « Bonjour », « Je voudrait cela », « Merci, au revoir. ». En dehors de son travail, nul ne connaissait le vieil homme, nul ne savait si il avait des enfants, une femme... Voire une vie en dehors de sa forge, puisqu'il n'en sortait même pas pour manger, demandant aux cuisiniers de lui apporter son repas.
« Laisser là l'abandon une lame en devenir est autrement plus dramatique que de laisser ton plat refroidir, bougre d'andouille ! » Grognait-il à chaque cuisinier qui lui demandait d'aller manger avec les autres confrères, en prétextant qu'amener un plat des cuisines jusqu'à la forge était trop long.
En voyant l'épéiste, il s'interrompit, et plongea la barre de métal dans un seau d'eau glacée, avant de poser son marteau sur son enclume.
La lame pouvait attendre... Au contraire du chevalier.
Il s'approcha de lui, et lui serra la main de sa poigne de fer.
- Salut, gamin.
- Salut, vieil homme.
Le forgeron le serra contre lui de son bras libre, dans une accolade amicale, avant de lui demander :
- Tu es venu pour t'équiper, n'est-ce pas ?
- Pour quelle autre raisons serait-je venu ?
- Je ne sais pas, pour dire « Bonjour » a un vieil homme seul ?
- Je ne trempe pas dans ce genre d'affaire, mais c'est gentil d'y avoir pensé.
Le forgeron éclata de rire, et lui fit signe de le suivre.
- Ne t'en fait pas, je préfère les jeunes femmes aux hommes forts... Dit-il avec un sourire en coin.
Le chevalier acquiesça d'un hochement de tête, repris par son habituelle neutralité.
Ils pénétrèrent dans l'armurerie... Et quelle armurerie !
Sur des râteliers trônaient des armes aussi variées que nombreuses : Epées, espadons, haches, hallebardes, piques, pertuisanes, guisarmes, masses, arbalètes, sabres... Par centaines.
Sans compter la foultitude de harnois, les hauberts, les armures d'écailles et de plates...
Il y avait de quoi équiper toute une armée.
Le fruit du travail acharné d'un unique forgeron, a qui ont avait souvent dit qu'il se tuerait à la tâche.
Il riait au nez de ces gens et reprenait son travail, dont les gestes répétitifs étaient devenus mécaniques, mais emprunt d'une conviction que mêmes les forgerons personnels des rois envieraient.
- Si je m'en réfère à ta doctrine...
- Epée et bouclier.
- Pourquoi changer une équipe qui gagne ?
- Je ne vois pas pourquoi changer de style de combat au risque de compromettre mon efficacité.
- D'où ma remarque.
Il prit une épée longue sur un râtelier, et la lui tendit, fusée en avant.
Il la dégaina, et l'inspecta.
- Acier damasquiné. Maniable, légère, effilée, parfaite pour les estocs.
- Non. Dit-il en la rangeant. Trop légère. Une lame trop légère est facilement déviable, et désarmer un ennemi équipé d'une arme légère est d'autant plus simple.
- Bien...
Il la reposa, et prit une épée bâtarde. L'épéiste la dégaina, et inspecta son tranchant.
- Acier clouté. Garde large, grande fusée, acérée, elle brise les boucliers et tranche aussi bien la chair que le métal. Même si le coup est bloqué par l'armure, la contusion suffit parfois à mettre à terre un ennemi.
- Non. Répéta t-il. Trop lourde, trop peu maniable, trop facilement esquivable. Comment pourrais-je mettre à terre l'ennemi si je frappe dans le vide ?
Le forgeron la reprit, la replaça, et en prit une autre.
- Epée large, acier trempé...
- Je la prend. Elle est bien équilibrée. Les lames équilibrées permettent des mouvements rapides, adroits et mortels.
- Un épéiste spécialisé dans une lame lourde ou légère sera toujours meilleur qu'un épéiste à lame équilibrée.
- Pas si celui-ci est spécialisé dans ces lames.
Le forgeron hocha la tête, tel un professeur regardant un élève ayant réussi à la perfection une épreuve ardue.
- Pour le bouclier ?
- Ecu de métal. Répondit le chevalier en fixant l'épée à son ceinturon.
- Un écu de métal complet ? C'est très lourd !
- Mais grâce à cela, je peux bloquer n'importe quel coup, le contact violent contre le métal repoussera mon ennemi et la vibration causée par le choc le rendra vulnérable. De plus, je suis sûr d'au moins sonner mon ennemi avec le coup de bouclier.
- Si l'ennemi frappe avec une assez grande force, ton bras vibrera lui aussi, ce ne sera pas comme avec un bouclier de bois.
- Pas si je frappe la lame pour la dévier. Et les coups trop puissants sont souvent très lents, il sont donc facilement esquivables.
- Et pourquoi un écu ?
- Il résiste mieux aux chocs que le bouclier rond, tout étant plus maniable que le bouclier rectangulaire. Il est aussi plus simple à transporter et à détacher du harnais que le bouclier rectangulaire, et utilisable à cheval.
Le sourire du forgeron s'élargit, à nouveau, il hocha la tête, et pris un écu de métal, dont la surface était peinte à l'honneur de la Confrérie des Epéistes.
- A t'entendre, j'ai l'impression que tu as été élevé par le maître d'arme personnel de l'Empereur ! Même un armurier des Chevaliers Impériaux n'aurait pas fait une meilleur expertise. Le congratula t-il en lui tendant le bouclier.
Quelric le remercia en enfilant le harnais auquel était accroché l'écu.
Le forgeron posa sa main sur son épaule.
- Prends garde, Quelric.
Le chevalier planta son regard dans le sien. Un regard déterminé.
- Je ne sais pas vers où t'envoies Artaen, et je trouve inacceptable qu'il ose mettre en danger la vie de ta sœur et la tienne pour des affaires ne regardant que lui. Cet homme est une pourriture,et je répugne à lui obéir, mais je n'ai pas le choix. Protèges tes arrières. C'est seul que tu pars, mais quoi qu'il arrive sache que mes pensées et ma bénédiction t'accompagnent.
L'épéiste hocha la tête.
- Je reviendrai sauf, et je la sauverai. Ne t'en fais pas. Dit-il d'une voix déformée par la résonance de son heaume.
- Je te fais confiance. Maintenant, vas. Ta route s'annonce longue, ne perds pas plus de temps en palabres.
Le guerrier fit volte-face, et partit.
- Quelric ! L'interpella une dernière fois le forgeron.
Quelric n'avait pas besoin de voir le visage défait du vieil armurier, pour savoir que ses yeux, chauffés par l'intense brasier de la forge étaient embués, et qu''il luttait pour retenir la vague de tristesse qui le submergeait en voyant le jeune homme, à moitié moins âgé que lui, partir vers une aventure dont il ne reviendrait pas.
L'épéiste baissa la tête, et, sans rien dire, sortit de la forge.
Il dût attendre une longue minute avant d'entendre les martèlements agressifs de la forge reprendre, tels les lents battements d'un cœur de fer.
L'heure était venue. Il n'avait plus rien à faire dans la forteresse, il était temps de partir.
Dans le grand hall, quelques épéistes terminaient leur petit déjeuner.
Il le traversa, le métal de ses grèves cliquetant et résonnant contre le sol de pierre.
Sur les tables de bois poli s'étendaient -ou s'entassaient- de nombreuses cartes.
Penchés au dessus d'elles, des confrères discutaient, cherchant des tactiques à adopter pour leur prochaines missions, tandis que les gardes échangeaient de fugaces paroles et de légers coups d’œils
L'ambiance était grave, militaire.
Il poussa, à l'aide des deux gardes en faction, les immenses portes de bois, d'environ un demi-mètre d'épaisseur, et descendit dans la cour intérieure.
La forteresse était composée du bastion, place-forte imprenable aux murs haut de plusieurs dizaines de mètres, de hautes tours qui, lors des sièges, se remplissaient d'arbalétriers à la précision meurtrière, et d'un donjon rivalisant avec celui d'un ordre de chevalerie Impérial ainsi que d'une haute-cour cerclée de murailles, dressées depuis des siècles, et qui jamais n'avait faillies, résistant aux assauts, aux invasions barbares, aux attaques de gargantuesques créatures et de seigneurs de guerre sans pitié.
Jamais elles ne s'étaient ébréchées.
Jamais elle n'avait cédées, et jamais elle ne céderaient.
Les pierres, d'un gris clair tendant vers le blanc cassé, rendaient resplendissante l'imposante forteresse, reflétant, telle la surface d'un calme lac, les rayons dorés du soleil.
Il parvint à l'extérieur du château, et descendit les escaliers, rudoyés par les centaines de milliers de pieds, bottés de fer, qui les avaient gravies.
Les cris des précepteurs se mêlaient aux rugissements du métal, vibrant en frappant des lames acérées aux pointes aiguës, ou tonnant en choquant les dures et inébranlables surfaces des boucliers.
Le sifflement des carreaux et des flèches, assimilées aux cris aigus des arbalètes et aux claquements secs des arcs, bien que plus rares que les vociférations du métal, se mêlaient avec ces derniers, pour créer une vacarme digne de l'endroit qui formerait tant d'excellents guerriers : Le camp d'entraînement.
Jadis, il était l'un d'entre eux, un apprenti... Mais il avait déjà de solides notions enseignées par son père.
Il dépassa les joutes dans lesquelles s'entraînaient les épéistes, et se dirigea vers les écuries.
Et celles-ci étaient de taille proportionnelle au reste de la forteresse : Immenses.
Elles devaient pouvoir abriter des centaines de destriers, et contenir assez de purin pour faire s'évanouir toute une armée.
La puanteur qui s'en émanait en rendait l'accès ardu, voir impossible, à tel point que bien des garçons d'écuries s'étaient vus tomber malade après leur première journée.
Pour pallier à ce problème, les écuries étaient lavées chaque jour par les estomacs les plus coriaces -ou les nez les plus bouchés-, mais la pestilence restait écœurante.
Il l'ignora, et passa le portail de bois donnant vers le haras.
De nombreux hommes s'affairaient autour de chevaux aux carrures et robes variées...
Coursiers, palefrois, destriers... Du plus fin pur-sang au plus robuste percheron, mâles et femelle, jeunes poulains ou vieilles carnes.
Couleurs et races pour tout les goûts.
Il passa entre les boxes et les garçons d'écurie, et alla se présenter au maître des écuries, le maréchal-ferrant.
Celui-ci était assis sur un tabouret, fumant une pipe d'où s'échappait une fumée à l'arôme épicé, il contemplait un tas de clous et de fers à cheval, mais avait plus les yeux dans le vague que rivés sur le tas de métal.
- Salut.
- Salut Quelric ! Alors ? Prêt ?
- Bien sûr.
- Toujours aussi stoïque, a ce que je vois ! C'est bien... Mais décevant pour tes interlocuteurs !
L'homme éclata de rire.
Il ne s'attendait pas à entendre le chevalier répondre d'un rire... Et cela n'arriva point.
- Tu es là pour ton vieux canasson, n'est-ce pas ? Demanda t-il, en mordillant l'embout de son brûle-gueule.
- Ce n'est pas un canasson... Maugréa l'épéiste.
- Nous sommes d'accord. Sourit le maréchal-ferrant, heureux de voir un homme aussi attaché à sa monture.
Il se leva, et partit vers un enclos. Il y entra, et en fit sortir le cheval qui l'habitait.
Posant sa main sur son cou,
Une magnifique monture à la robe brune, un étalon dont la carrure était à mi-chemin entre le palefroi, un puissant cheval de bataille, et le cheval de course, doué pour son incontestable vitesse.
Un destrier robuste, rapide et docile.
La monture parfaite pour un chevalier.
- Il... Il est impressionnant. Murmura t-il. Tu l'as bien dressé.
- Je ne l'ai pas dressé...
- Je sais. Assura t-il avec un sourire approbateur. Tu l'as élevé.
La monture s'avança d'elle-même, près de son maître. Elle lui donna un petit coup de museau affectueux. En réponse, le chevalier le lui caressa d'un geste doux.
- Je vais le seller. Annonça le maréchal-ferrant.
Bien qu'il puisse lui aussi préparer son destrier, l'épéiste n'émit aucune protestation, et sortit sans un mot, non sans être interpellé par un petit reniflement équidé.
Une fois hors des écuries, il s'adossa contre son mur, et croisa les bras contre sa poitrine.
Où allait-il ?
La réponse lui importait peu, seule comptait l'enjeu.
Comment pouvait-il parler d'enjeu ?
La seule femme qu'il avait jamais aimée, la seule femme qu'il ai jamais serrée dans ses bras.
Les amours étaient parfois plus forts quand ceux-ci étaient fraternels, et peu de tels amours existaient. Peu d'amours aussi forts avaient jamais vu le jour.
Le portail s'ouvrit dans un léger grincement, les sabots frappaient le sol dans un claquement régulier, annonçant à l'épéiste que sa monture était prête.
- Prends soin de lui, je ne veux pas qu'il y passe. Prévint l'homme en le regardant droit dans les yeux, ses lèvres étirées dans un sourire encourageant.
Dans cette phrase à l'aspect inhumaine, l'on pouvait clairement déchiffrer : « Reviens sauf. »
Le chevalier se contenta de hocher la tête.
Il accrocha sac de vivre et de voyage à la selle, puis se hissa sur celle-ci , et avança au pas jusqu'au chemin de terre dallée qui menaient aux portes de la forteresse.
Celle-ci étaient déjà ouvertes.
Deux battants d'un mètre d'épaisseur pesant chacune cinq tonnes de bois des forêts d'Havre-Chêne.
Deux arbres avaient été nécessaires pour bâtir ces portes.
Cela ne représentait rien pour certains, mais qui connaît les forêts elfiques de l'Est ne peu que comprendre l’œuvre titanesque que fut la coupe de ces arbres et la conception des lourdes portes de la citadelle de Fier-Acier.
Un complexe système de rouages ouvraient les portes chaque matin, et les fermaient chaque soir, dans un vacarme insupportable, fait de grincements du bois et de crissements du métal contre la pierre.
Encore renforcées par de lourdes plaques de métal, les portes étaient à l'image des murailles : Inaltérables et titanesques.
Alors qu'il s'approchait, un des gardes, adossé contre la tranche de l'un des battants, leva sa main en signe d'adieu.
Le chevalier hocha lentement et profondément la tête, pour le remercier.
Ultime regard en arrière.
Un foudroiement oculaire dirigé vers le donjon, où se dessinait une noire silhouette, assombrie par la distance.
Les regards se croisèrent.
Le doute n'était point possible, et ce, même malgré l'éloignement entre les deux hommes : Ils se défiaient du regard.
« En es-tu capable ? »
Oui, il l'était.
« En a-tu le courage ? »
Pour sûr, il l'avait.
« Le fera-tu ? »
Bien sûr, il le ferait.
Ultime regard en arrière, qui mourut lorsqu'il tourna la tête.
Devant lui s'étendait le monde.
Sous ses pieds s'étendait une route jonchée de pièges.
Devant lui s'étendait une bataille.
Sous ses pieds s'étendait un sol jonché de cadavres.
L'éclat de ses yeux plissa lorsqu'il fronça les sourcils.
Devant lui s'étendait sa destinée.
Sous ses pieds s'étendait le seul chemin vers son but.
Vers la victoire.
Vers sa sœur.
Il se courba sur sa monture, et donna un coup de talon dans sa croupe.
Le cheval partit au triple galop, secouant le chevalier à chaque coup de sabot sur le sol.
Quelric et Tonnerre, deux êtres, liés depuis leur enfance.
Autour d'eux s'éveillait le printemps.
Dans les fourrés, les yeux luisant de chevreuils, intrigués, et les formes indistinctes de quelque animal se dessinaient dans ce havre vert.
La nature chantait, gazouillait, roucoulait au jour nouveau, le concert harmonieux troublé par un galop agrémenté de bruissements métalliques.
Sa quête commençait.